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procès du siècle

A Mpimba, dans l’enfer burundais 
Eric Gillet 
Eric Gillet a plaidé en 1992 la cause de «rebelles» entraînés dans une lutte violente contre l’armée. Son combat fut efficace, mais le cauchemar allait renaître. 
 
 
Mpimba, Burundi, novembre 1992.  
Une prison comme tant d’autres en Afrique. Style colonial inimitable. Il pleut. Tout est détrempé. L’allure débonnaire du directeur et des gardiens ne laisse rien percer de l’horreur des conditions de détention. Cachots humides et sans lumière, promiscuité et cette horrible incertitude qui accable chaque détenu. 
De quoi est-il accusé? Est-il même accusé? Quand sera-t-il jugé? Reverra-t-il jamais les siens? Ici, 450 pauvres hères ont suivi en novembre 1991 quelques chefs dévoyés qui leur ont dit qu’une fois encore les réformes politiques étaient un miroir aux alouettes; qu’une fois encore il faudrait tuer pour ne pas l’être soi-même. 
Planche de salut 
Persuadés que les scarifications qu’ils s’étaient fait incruster pour la cause les protégeraient des balles de l’armée, ils sont montés à l’assaut de celle-ci. On les appelle d’ailleurs les «assaillants». Mais les balles ignorent les croyances ancestrales. Et les voilà à Mpimba, éberlués, sans savoir. 
Leur procès a débuté devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Bujumbura. Pas d’avocat. Aucun ne veut intervenir. Passages à la chaîne devant leurs juges. Cinquante et quelques condamnations à mort en un jour. 
Emoi de l’opinion publique. On bloque le cours des procès. On cherche un défenseur à l’étranger et l’on arrive chez moi. Voilà pourquoi je suis à Mpimba. Percé moi aussi jusqu’aux os par l’humidité de la petite saison des pluies et les murs pourris de la prison. 
Je fais pendant une semaine l’aller et retour entre ce lieu sinistre et le centre ville. Trouver un avocat qui voudra bien intervenir à mes côtés. 
Eux ne veulent pas du seul avocat hutu du barreau. Il fut ministre du régime dit tutsi. C’est donc le pire, croient-ils. Les avocats tutsis ne veulent pas se compromettre. Et pourtant il le faut. Bras de fer entre les détenus et moi, et entre moi et mes confrères. 
Finalement, on y est. L’un d’eux accepte... et est accepté. Ensemble, nous sommes la seule planche de salut de ces naufragés de l’histoire burundaise. 
Un an plus tard, en octobre 1993, le Burundi sombrerait à nouveau, après l’élection euphorique d’un président, et son assassinat traumatique. J’interrogerais droit dans les yeux des lycéens de 15 ans qui avaient, à la machette, abattu un à un tous les réfugiés de l’évêché de Ruyghi. Dans la brume d’un soir idyllique, je verrais dans ces yeux qui mentaient le lieu d’échouage de cent ans de pensée erronée. 
Ici, rien de tel. En ce mois de novembre 1992, à la prison de Mpimba, je ne rencontre chez ces paysans illettrés que des regards sans fond, sans points de repère. Ici, pas de mensonge: il n’y a que le reflet d’une société perdue dans sa douleur. 
Que sont-ils devenus? 
Me voilà donc muni de mon alter ego burundais. Les procès peuvent reprendre. Une première série de vingt. La salle d’audience est bondée d’un public sans souffle. Avec l’intervention d’un avocat européen, l’affaire a pris une dimension internationale. RFI, BBC. Etrange mais habituel changement d’âme d’un événement local qui s’est ouvert au monde. Espoir recouvré des détenus. Que dis-je? Certitude que tout se passera bien désormais. Les juges eux-mêmes transcendés dans une posture de juges à l’européenne. 
L’on plaide une journée entière, et ce procès revigore la conscience de ce peuple meurtri. Un tiers acquitté, un tiers condamné à une peine égale à la détention préventive, le dernier tiers libérable dans les douze mois du prononcé. 
Les autres détenus ne seront finalement jamais jugés, car l’élection du président Ndadaye les libérera tous. Mais de quelle libération s’agira-t-il? Six mois plus tard, en effet, l’assassinat de ce président plonge le pays dans un cauchemar qui semblera éternel. 
Que sont ces clients d’un moment devenus? Ont-ils été à nouveau broyés par la meule aveugle de l’histoire des Grands Lacs? 
On voudrait croire que, au bout du compte, leurs scarifications leur auront porté bonheur, qu’elles auront ravivé le réflexe immémorial de survie de ce peuple tant maudit, tant aimé. 
 
la libre belgique 2005

  
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Modifié en dernier lieu le 16.09.2005
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